Crédit photographique :© École polytechnique – J.Barande
Très intéressante étude que je me suis efforcé de lire dans le détail. Comme bien souvent, tout un travail de qualité se termine par une conclusion pour le moins attendue.
Ce que montre au contraire l’étude de cette forme exemplaire de concurrence qu’est le concours d’accès aux grandes écoles, c’est que toute sélection scolaire engage nécessairement des implicites sociaux qui avantagent d’autant plus ceux qui les maîtrisent que l’ensemble des parties prenantes au processus de sélection – candidats, examinateurs et enseignants préparationnaires – partagent le déni de leur existence.
Dans ce petit billet , je n’aborderai pas la question disons globale de l’équité sociale des concours, je détaillerai ce sujet avec toute l’attention que le sujet mérite. Je préfère ce soir m’attarder sur un seul point soulevé par les auteurs : celui de l’esthétique des mathématiques.
Le rapport de la deuxième épreuve de mathématiques du concours MP 2011 explique ainsi : « Il est dommage qu’une majorité ait préféré appliquer un théorème de convergence dominée dans toute sa lourdeur (mais heureusement correct) alors que l’étude directe des sommes partielles se limitait à celle d’une série géométrique et une majoration du type : … »
Dans l’espace de l’enseignement, la propension à adopter l’une ou l’autre de ces postures est, de manière très précoce, très inégalement distribuée socialement (Baluteau, 2011 ; CNESCO, 2016) : s’y opposent les mathématiques formelles que l’on place, en France, au cœur des démarches pédagogiques utilisées pour enseigner les mathématiques aux élèves de la classe dominante, et celles, plus proches de la vie courante, que l’on mobilise pour former les élèves issus des classes populaires.
Je m’excuse de toute domination éventuelle, mais je reste très sensible à cette esthétisation des mathématiques. Je me posais cette question la semaine dernière justement à la lecture/relecture de plusieurs dizaines/centaines de démonstrations du théorème de Pythagore. Je ne suis pas capable de mener des réflexions mathématiques de très haut niveau, mais je suis sensible àla beauté, à l’esthétique de certaines approches. J’essaye aussi d’y sensibiliser mon fils. En littérature, on a j’espère encore le droit d’être sensible à un style. En informatique, le mot employé doit encore faire frémir un peu plus : la pureté du code.
Plus généralement, la posture esthétique que valorisent les correcteurs et les examinateurs du concours de l’X n’est pas sans rappeler la disposition esthétique que Pierre Bourdieu associe à l’habitus des classes dominantes (Bourdieu, 1979, p. 30‑60 en particulier) : on retrouve, ici et là, le primat de la forme (esthétique ou mathématique) sur le contenu (utilitaire, politique, économique ou moral)
Ressentir une émotion devant la beauté d’une démonstration est-il condamnable ?
L’éducation EST une posture esthétique, un rapport au monde, aux autres. Sans « posture » esthétique, ce monde éducatif souhaité est terrifiant, premier échelon d’une véritable dictature qui ne mettra pas très longtemps à tomber le masque.