Éloquence et art de convaincre dès le CM2 ?
Quand Le Point sort un numéro spécial consacré à l’éloquence, je me jette dessus. L’art oratoire, ça me dit quelque chose et j’ai quand même quelques restes pour avoir formé si longtemps des centaines d’étudiants aux oraux des Grandes Écoles. Si je pouvais remettre la main sur ces heures d’enregistrement de mes « Heures de Vérité » où mes amis et moi nous nous transformions alternativement en jeunes François-Henri de Virieu pour la joie d’un public difficile ! Tempus fugit !
Autant le dire tout de suite, j’ai été un peu déçu ce ce numéro. J’avais sans doute trop d’attentes et des besoins trop spécifiques. Le titre exact porte sur l’art de convaincre. Pas tout à fait la même chose. Une maladresse peut convaincre, une éloquence pas du tout. Subtil équilibre. Ce n’est pas tant ce que contient ce supplément qui ne me convainc pas, c’est tout ce qu’il ne contient pas. On y trouve principalement d’excellents portraits de grandes personnalités du barreau, de la politique ou des affaires. C’est un peu comme si j’achetais un numéro sur le plaisir des mathématiques et que j’y trouvais d’excellents portraits de mathématiciens alors que je cherche quelques énigmes ou démonstrations à me mettre sous la dent.
Je vais rester centrer sur mon école primaire. On peut y trouver un excellent exemple de l’enseignement des techniques oratoires dans une classe de CM2. Un élève dit être moins timide. Tous vantent l’intérêt de cet enseignement. L’oral devenant plus central avec l’effacement programmé de l’écrit tant au bac qu’à Sciences-Po, il est normal qu’on l’enseigne. Je ne sais pas encore qui va devoir se charger de l’apprentissage de la gestion des silences dans un discours, mais voilà notre instituteur reconverti en sociétaire de la Comédie Française. Les profs de français gèrent bien les clubs de théâtre avec la possibilité de rencontres élèves-professeures qu’ont connaît désormais, à près tout pourquoi pas. Une récitation améliorée en quelque sorte.
L’oral enseigné en CM2
Je pense qu’on aurait tort d’opposer naïvement cet art oratoire au monde de l’écrit. Je pense que la maîtrise à l’oral passe aussi par nos listes de vocabulaire de CM et qu’au final les plus à l’aise seront simplement ceux qui maîtrisent les codes de leur auditoire. Un professeur de rhétorique de l’ESSEC – oui oui ça existe désormais – disait qu’un discours à la Malraux en hommage à Jean Moulin serait dévastateur pour un départ à la retraite.Soit. Mais pour trouver ces exemples qui vont faire vivre le discours, je ne vois rien de mieux que la culture générale. La liberté, c’est d’aussi la dictée de CM1 de mélimélune sur la Liberté guidant le peuple et l’émotion ressentie plus tard devant ce tableau gigantesque qui vous saute à la figure, c’est Gavroche qui tombe par terre, la faute à Voltaire, c’est Eluard dès mon premier cahier d’écolier, c’est Césaire sur l’esclavage, c’est Primo Levi lui qui nous parle …
Il ne s’agit pas de louer une « spontanéité » de l’oral sur l’écrit, de nous enseigner à ne pas se gratter les cheveux quand on parle aux autres. Sans cette culture générale qui s’acquiert dans les livres, les musées, dans les rencontres, dans les voyages, lointains ou dans son quartier, sans cette imbrication du fond et de la forme,sans cet empathie que vous fait aussi comprendre que l’Autre est bien souvent un même, on ne parle pas de formation à l’éloquence. Oui, L’oral se travaille, plus encore que l’écrit. Est-il même récitation ? Une plaidoirie doit-elle s’apprendre par cœur ? Faut-il rendre un texte comme un comédien qui joue du Molière mais qui ne l’a pas écrit ? Faudra-t-il utiliser des plumes comme le sont parfois les plus brillants Normaliens ? Avec de telles attentes, vous comprenez pourquoi j’ai été un peu déçu du supplément sur l’éloquence du Point, bien courageux quand même en période estivale.